Le 12 mai 2025, la Cour suprême du Colorado a rendu une décision historique en rejetant les tentatives d'ExxonMobil et de Suncor Energy de faire annuler une poursuite judiciaire intentée par la ville de Boulder. Cette décision marque une étape cruciale dans la responsabilisation des entreprises de combustibles fossiles face au changement climatique.

Par une majorité de 5 voix contre 2, la plus haute juridiction du Colorado a déterminé que la législation fédérale n'empêchait pas Boulder et le comté environnant d'affirmer que ces entreprises énergétiques avaient enfreint les lois de l'État en trompant le public sur les dangers associés aux combustibles fossiles.

Une décision qui fait jurisprudence

Cette décision représente seulement la deuxième fois qu'une cour suprême d'un État américain autorise l'une des nombreuses poursuites intentées par des gouvernements locaux contre de grandes entreprises énergétiques concernant le changement climatique à progresser, malgré des années de batailles juridiques. Précédemment, la Cour suprême d'Hawaï avait permis à Honolulu de poursuivre une action similaire contre Exxon, Sunoco et d'autres entreprises, une décision que la Cour suprême des États-Unis avait refusé de réexaminer en janvier 2025.

La ville de Boulder avait initialement déposé cette plainte en 2018, accusant les entreprises d'avoir violé diverses lois de l'État et d'avoir créé des nuisances publiques et privées en déformant l'impact de leurs produits fossiles sur le changement climatique. Boulder soutient que ces entreprises devraient être tenues financièrement responsables des coûts qu'elle devra supporter pour protéger sa communauté contre les effets du changement climatique.

Pendant des années, ExxonMobil et Suncor ont tenté de faire juger l'affaire par un tribunal fédéral, généralement considéré comme un environnement plus favorable aux défendeurs. Cependant, après de longues procédures et deux appels devant la Cour suprême des États-Unis, l'affaire a finalement été renvoyée devant un tribunal d'État, où un juge de première instance a refusé de rejeter la plainte.

Les arguments juridiques en présence

En appel, les entreprises pétrolières ont fait valoir que la poursuite intentée par Boulder interférerait avec la réglementation fédérale sur les émissions de gaz à effet de serre en vertu de la Loi sur la qualité de l'air (Clean Air Act) et entraverait la capacité du gouvernement fédéral à gérer ses relations étrangères. Toutefois, le juge Richard Gabriel, qui comme tous les autres membres de la Cour suprême du Colorado a été nommé par un gouverneur démocrate, a déclaré qu'"une action en justice ne constitue pas une réglementation simplement parce qu'elle pourrait avoir une incidence sur le comportement des acteurs dans un domaine donné".

En revanche, le juge Carlos Samour a exprimé son désaccord, craignant que l'affaire de Boulder ne vise à réglementer efficacement la pollution atmosphérique interétatique, ce qui pourrait conduire à un "chaos réglementaire". Ce désaccord illustre les tensions juridiques et politiques qui entourent ces procès climatiques dans tout le pays.

Impacts et perspectives pour la justice climatique

Cette décision juridique s'inscrit dans un contexte où le Colorado fait partie des États américains qui se réchauffent le plus rapidement et qui continuent à subir des problèmes associés à l'augmentation des températures. Au cours des trois prochaines décennies, les communautés du Colorado devraient faire face à des coûts atteignant plusieurs centaines de millions de dollars ou plus pour s'adapter aux impacts du changement climatique et les atténuer [1].

La décision de la Cour suprême du Colorado pourrait avoir une influence considérable sur d'autres affaires similaires en cours dans tout le pays. Des dizaines de tribunaux américains examinent actuellement des poursuites comparables et pourraient s'appuyer sur ce précédent pour leurs propres décisions.

L'avancée de cette procédure judiciaire devrait maintenant permettre au tribunal de passer à la phase de découverte. Cette procédure légale permettrait de recueillir des documents et d'appeler des témoins pour clarifier comment Exxon et Suncor ont façonné la perception du public sur le changement climatique.

Bien que le calendrier reste incertain, un procès pourrait commencer dès l'année prochaine. Cependant, il est plus probable que l'affaire prenne environ deux ans avant d'être présentée à un jury du comté de Boulder. Cette attente prolongée souligne la complexité et l'importance de ce procès sans précédent pour l'avenir de la justice climatique.

Cette décision intervient alors que d'autres initiatives pour lutter contre le changement climatique se multiplient à l'échelle mondiale. En Europe, le règlement européen sur le méthane entré en vigueur en août 2024 comprend les premières règles de l'UE visant à réduire les émissions de méthane dans le secteur de l'énergie. L'année 2025 est d'ailleurs considérée comme "une année charnière pour l'atténuation du méthane" selon les experts [2].

Cette affaire met en lumière un principe juridique fondamental : chacun doit payer sa juste part pour les dommages qu'il cause. La décision de la Cour suprême du Colorado affirme que rien dans la loi fédérale n'empêche les tribunaux du Colorado d'appliquer ce principe à la tromperie de l'industrie des combustibles fossiles concernant le changement climatique et leur altération délibérée de notre climat.